jeudi 14 juin 2007

Un fil bien emmêlé

Article paru dans la revue Société de l'information, no. 38, juin 2007

La technologie RSS est un des symboles du « 2.0 ». Mais, si elle simplifie la vie de l’internaute moyen, son
histoire a des allures de casse-tête. Pour faire simple, il faut parfois passer par la case « compliqué ».

Au lieu de consulter son site préféré pour vérifier la présence de mises à jour, pourquoi ne pas laisser les mises à jour venir à soi ? C’est la philosophie RSS. Les articles du Monde, les critiques de AlloCiné et même le podcast des Grosses Têtes… les fils RSS sont aujourd’hui partout. Pour les utiliser, il suffit d’un « agrégateur », un petit logiciel souvent intégré dans le navigateur web. Mais que signifient les trois lettres RSS ? La réponse la plus courante est Really Simple Syndication, pour Distribution (ou syndication pour reprendre le terme américain) vraiment simple, mais certains parlent aussi de RDF Site Summary pour Cadre de description des ressources résumé de site et d’autres noms encore circulent. A qui se fier ?

Divergences chez les développeurs

Tout commence, raconte-t-on, en 1999, voire pour certains en 1997. En tout cas on s’accorde à dire que l’histoire du terme RSS est à l’origine liée à celle de Netscape. L’éditeur du premier navigateur web vient de lancer un portail internet et a besoin de faire « parler » le contenu des pages créées par les internautes. L’objectif est de pouvoir restituer ensuite cette information aux autres internautes. C’est là qu’intervient le RSS. Les trois lettres signifient alors RDF Site Summary. Mais bien vite, à l’automne 2000, un nouveau RSS apparaît. C’est le Rich Site Summary pour Résumé de site élaboré. Et l’histoire se complique. Car si ce nouvel avatar du RSS a des origines communes avec l’ancien, il ne lui succède pas. Bien au contraire, il s’agit d’une
branche divergente ! Comme souvent, tout provient d’un désaccord entre développeurs. Les anciens veulent faire un RSS plus pur, plus beau techniquement ; les nouveaux privilégient la simplicité pour l’utilisateur. En décembre 2000, une version RSS 1.0 voit le jour, puis
une version 2.0 à l’automne 2002. Mais bien sûr ces deux versions ne sont absolument pas compatibles, puisque la version 1.0 est une évolution du RSS « canal historique », alors que la 2.0 provient du « canal dissident » ! La version « dissidente » prend pour nom développé Really Simple Syndication, soulignant l’objectif de simplicité. Au total, un observateur dénombrera 9 versions différentes de RSS début 2004.
Un bel écheveau à démêler pour les amateurs d’histoire contemporaine.
C’est justement ce qu’a tenté Frédéric Laurent, un architecte informatique passionné de standards. Dès 2001 il s’intéresse à la technologie RSS qui lui paraît être une évolution majeure pour consommer et échanger de l’information efficacement. En 2004, « suivant les différentes querelles que RSS a suscitées et voulant comprendre l’enchaînement des différentes versions,
j’ai cherché en vain des informations synthétiques sur l’historique de ces formats. N’ayant rien trouvé en français, j’ai décidé de le créer », se souvient-il. Des anglophones l’avaient en effet précédé. On trouve une histoire du « schisme » reprenant les échanges ayant mené à la bifurcation, ainsi qu’un « résumé de l’histoire du RSS » raconté par Dave Winer, le leader
de la branche dissidente qui, comme dans toute bonne dispute, était un des principaux architectes de la branche historique avant de basculer. On s’en doute, la vision de ce dernier n’était pas forcément des plus impartiales…

Convergences des utilisateurs

Depuis 2004 heureusement les choses se sont apaisées. C’est du moins l’opinion de notre historien français. F. Laurent a, d’ailleurs, lui-même mis la pédale douce : « 3 ans après, je me suis un peu lassé des différentes guerres de clocher souvent stériles », dit-il, « les logiciels de blog peuvent lire de nombreux formats, tout comme les agrégateurs ». En effet, les techniciens, qui ne sont pas tous des fondus d’histoire, ne se sont pas encombrés de débats partisans. Puisque la convergence des standards n’a pas eu lieu, ils ont fait des logiciels compatibles avec toutes les normes !
C’était d’autant plus logique que les deux branches du RSS sont maintenant largement stabilisées. Mais que les historiens en herbe se rassurent, il y a encore beaucoup à raconter ! Entre-temps, un troisième larron, du nom d’Atom, a essayé de régler leur compte aux frères ennemis. Comme quoi technologie simple peut rimer avec histoire compliquée.

Charles Simon


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